Arwaelyn tremblait, allongée sur le pont du petit voilier que pilotait Galvan, le serviteur de son père. Ses jambes ne la portaient plus depuis qu’elle avait entendu de la lisière des bois les hurlements des hommes que commandait son père. A ce souvenir, les larmes aveuglèrent de nouveau la jeune fille.
Galvan jeta un nouveau regard vers la jeune maîtresse. Son état l’inquiétait ; il avait du la porter des quais jusqu’au voilier. Ses forces et sa volonté de vivre semblaient l’avoir abandonné et seuls ses tremblements indiquaient qu’elle ressentait encore quelque émotion.
État de choc. Ses propres mains tremblaient également sur le gouvernail. Le sang lui dégouttait des doigts. Celui de deux servantes qu’il avait du poignarder pour les refouler hors du voilier, trop petit pour les contenir elles aussi.
Galvan se ressaisit. Son Maître avait mis le sort de sa fille entre ses mains. Mais où aller ? Son embarcation était trop frêle pour supporter un voyage en haute mer et toute la région serait tombée sous peu aux mains du Fléau.
Il fallait fuir, mais vers quelle direction ? Le Nord de Quel’Thalas ? Des poches de résistance devaient encore exister, mais qui se soucierait de deux humains réfugiés et incapables de guerroyer à la façon des forestiers ? Au Sud ? De nombreuses lieues les séparaient d’un refuge sûr. Leur voilier ne tiendrait pas, la Mer les prendrait, victimes anonymes des éléments indifférents.
Il se rapprochait insensiblement des terres de leur voisin, dont le manoir en flammes éclairait comme une chandelle les côtes de Brise-d’Azur. C’est alors qu’il la vit. Cette petite fille hanterait longtemps ses cauchemars…
Elle se tenait en haut de la falaise, sa robe colorée battue par les vents. Une tragédie se déroulait devant ses yeux. Un elfe, un serviteur sans doute, tenant une épée dans son poing, la petite elfe agrippée à ses vêtements derrière lui. L’adulte chargea les deux goules qui les avaient acculés. Il n’était pas complètement à terre que les monstres le dévoraient déjà, détachant sa tête de son tronc sous les hurlements de la gamine, qui reculait désespérément près du vide.
Les goules se retournant vers elle… Galvan, hypnotisé par cette scène, incapable d’articuler un cri, une lamentation sourde. La gamine qui se jette du haut de la falaise sur les récifs en bas.
Arwaelyn qui crie en tendant la main vers la côte, qui crie aussi longtemps que dure la chute de la fillette. Et Galvan qui tourne le gouvernail pour mettre le plus de distance entre leur voilier et la côte. Entre eux et ce pays maudit.
Combien de temps a duré leur dérive, dans des eaux trop tumultueuses pour que leur embarcation pût seulement être dirigée ? Mais la nuit n’était pas encore tombée quand ils virent qu’un vaisseau de guerre de Lune d’Argent croisait dans leur direction. Certainement un simple hasard. Bienvenu malgré tout.
Une corde jetée par un marin elfe, que Galvan saisit avec désespoir. Il saisit Arwaelyn par la taille en tenant d’une main la corde. Arwaelyn qui ne répond toujours pas, le regard fixe. Les marins hissent les deux rescapés humains. Le navire est bondé de réfugiés, pour la plupart elfes. Ils sont hagards. Ils viennent de l’enfer de Lune d’Argent, d’où tout le monde n’a pas réussi à s’enfuir.
De nombreux nobles et leurs serviteurs. Des soldats. L’équipage. Galvan arrive à hauteur du pont et s’accroche à la rambarde. Il pose sa main sur une encoche faite à la hache ou à l’épée. À l’intérieur de l’encoche, du sang. Tout le long du pont, de semblables encoches. Galvan ferme les yeux. Il ne veut pas savoir qui a tenté désespérément de prendre à l’abordage le navire et les raisons qui ont poussé ceux qui y étaient déjà de couper les mains.
Arwaelyn garde les yeux fixés sur les encoches jusqu’à ce qu’elle mette les pieds sur le pont. Galvan la soutient et regarde les gens qui les entourent. Ils ont vécu l’enfer et certains ne sont déjà plus ce qu’ils paraissent être. Les nobles ont eux aussi du sang sur leurs mains. Peut-être celui de leurs voisins, de leurs proches ou de leurs parents. Les serviteurs ont le regard fuyant. Les soldats ne se regardent pas entre eux. Les marins vont aux manœuvres comme des fantômes.
« Nous sommes damnés. Ce bateau ne nous a pas secourus. Nous allons simplement partager la dernière destination de ces âmes en peine » pense un instant Galvan.
Mais le capitaine s’approche d’eux. Il leur dit que le navire vient de Lune d’Argent et que d’autres vaisseaux ont aussi pu quitter la rade avec à leurs bords des survivants de l’assaut du Fléau. Lune d’Argent est tombée. Quel’Thalas est tombé. Les forestiers n’ont pas pu arrêter la progression de l’Ennemi.
Il leur faut désormais aller au Sud, qui se lève enfin et prend tout entier les armes. Là-bas, à Menethil sans doute, ils déposeront les réfugiés, referont de l’eau et se porteront vers l’Amiral de l’Alliance afin de lui prêter allégeance. Ils reprendront alors le combat vers le Nord.
« On dit que des combattants du Royaume de Lordaeron résistent encore, que des réfugiés s’attroupent aux frontières de Gilnéas, que les combats continueront aussi longtemps que le courage des hommes du Nord ne vacillera pas… »
On permet à Arwaelyn de se coucher dans la cale, qui a été réaménagée en dortoir hôpital. Galvan s’assure qu’une guérisseuse débordée lui consacrera quelques instants et il visite le navire. Dans une cabine entrouverte, il aperçoit un reflet brillant.
Il fait alors ce qu’il n’avait encore jamais fait : il entre dans la cabine et dérobe des bijoux jetés pèle- mêle dans un sac. Il met son larcin contre sa poitrine, sous son manteau, puis revient auprès d’Arwaelyn, toujours prostrée, adossée contre la paroi de la cale.
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Dernière édition par Arwaelyn le Jeu 6 Jan 2011 - 17:08, édité 1 fois