Chapitre 1 : les exilés
Jadis, la seconde guerre qui mit aux prises les humains et les orcs aboutit à la destruction et au pillage de la fière cité de Hurlevent. Fort heureusement, le roi de la cité, Varian Wrynn, réussit à repousser l’ennemi à l’aide de ses alliés et, au prix de nombreuses tractations, un fragile traité de paix fut signé entre les belligérants.
L’heure était à la reconstruction et aussitôt, les nobles et les riches firent appel aux meilleurs maçons et charpentiers du royaume, ou du moins, à ceux qui restaient en vie.
Le travail était harassant et dangereux mais la promesse de richesses faisait affluer des artisans de tout le continent. Ceux-ci se regroupèrent en une corporation, sous la direction d’Edwin VanCleef, un brillant ingénieur. Un certain nombre d’entre eux mourut à la tache, soit d’accident, soit d’épuisement mais les places ne restaient jamais vacantes longtemps et Hurlevent fut rebâtie de ses cendres en à peine soixante lunes. Ce n’est pas sans fierté que les bâtisseurs demandèrent audience à leur royal commanditaire pour récupérer le fruit de leur laborieux travail.
Hélas, le roi, endeuillé par la mort de sa femme et influencé par une de ses proches conseillères, Katrana Prestor, représentant la noblesse du Comté d’Elwynn, décréta que les bâtisseurs n’auraient pour récompense que la fierté d’avoir participé à l’effort de guerre de l’alliance face à l’envahisseur. Forts mécontents de leur sort, les maçons organisèrent un blocus de la ville et défilèrent dans la capitale. Le roi décida qu’il fallait rétablir son autorité dans les rues et il envoya sa garde personnelle charger les manifestants. Ce jour là fut le théâtre d’une horrible boucherie puisqu’il y eut des centaines de morts parmi les émeutiers à tel point que les canaux qui traversaient la cité en étaient devenus rouges. Dans le même temps, pour apaiser les nobles et les marchands qui avaient vu leurs échoppes se faire piller, la loi martiale fut décrétée, le syndicat des maçons et des charpentiers fut dissout et les fauteurs de trouble furent décrétés hors-la loi.
Edwin VanCleef réussit à s’échapper avec quelques compagnons mais ils n’abandonnèrent pas la lutte. Ils installèrent leur quartier général dans le village de Ruisselune qu’ils annexèrent et se mirent à semer la terreur parmi les habitants restés fidèles à la royauté. Ils se structurèrent en une puissante organisation visant à renverser le régime monarchique qui les avait si mal récompensés et créèrent des alliances avec les tribus de gnolls et de kobolds autochtones. Ils signèrent également un traité de coopération avec le cartel des pirates des mers du sud qui leur fournissait, armes et munitions en échange d’une base arrière et de ravitaillement : ainsi naquit la confrérie Défias qui jura la perte de Hurlevent. Le temps passa, la guerre reprit, encore et toujours…
Ce matin là, j’avais une sensation de chaleur et de lumière qui m’étaient très agréables. En cette fin d’été, le soleil dardait ses rayons dans les champs de blé, prêts à être moissonnés par les paysans inquiets. C‘était la première fois depuis bien longtemps que les récoltes avaient été épargnées, tant par les affres de la météo que par les sauterelles mais, tant que les grains ne seraient pas dans les sacs, qui sait ce qui pourrait advenir.
Comme tous les matins, je divaguais de ferme en ferme avec celle que je m’étais promis d’épouser, Samantha Longuetige. Mais du haut de nos douze ans, nous n’étions pas si pressés. Depuis toujours, j’étais impressionné par Samantha qui me surpassait à tout point de vue. Elle était puissante, forte et intelligente. Elle fabriquait des pièges tous plus ingénieux les uns que les autres pour attraper busards et levreaux, à tel point que nous l’avions affublée du surnom de l’araignée. Elle m’avait confié qu’elle caressait le rêve de parcourir le monde pour devenir artisan ingénieur, tout comme notre commandeur, Edwin VanCleef. Déjà, la confrérie lui avait confié la tache de s’occuper de la maintenance de quelques moissonneurs, qui montaient la garde dans un champ de potirons, voisin de nos fermes. Ces golems étaient en fait d’affreuses machines qui étaient autant destinées à s’occuper des récoltes qu’à faire fuir les paysans venus du comté voisin d’Elwynn pour trouver une vie meilleure dans notre région. Le roi avait compris que pour nous éloigner de nos terres, il lui faudrait récupérer chaque pouce de terrain, mais avec la guerre qui avait repris contre les orcs et leurs alliés, il ne pouvait se permettre d’y envoyer ses troupes. Ses conseillers lui suggérèrent que des colons feraient tout aussi bien le travail de toute une armée. C’est, du moins ce qui se disait du côté de Ruisselune.
Quant à moi, j’étais plutôt malingre pour mon age et je n’avais pas l’intelligence de l’araignée, il faut dire que j‘étais le dernier d‘une portée de huit enfants. Je n’en étais pas moins vif d’esprit et j’étais doué pour me camoufler, ainsi que pour travailler les fourrures des lapins que nous attrapions dans nos collets. Alors que tous les enfants de mon age étaient sagement avec leur précepteur à apprendre les différents arts, j’étais toujours en maraude, ce qui me valut le surnom de furet puisqu’en fait, je furetais partout. Nous formions une belle équipe, à gambader à longueur de temps dans les hautes herbes : le furet et l’araignée.
Cela faisait deux saisons déjà que l’araignée et moi avions été admis en tant qu’éclaireurs chez les Défias. Nous portions fièrement l’emblème de notre confrérie, un foulard rouge en hommage à ceux qui étaient tombés au champ d’honneur sous les coups des gardes du roi. La légende disait que les insurgés, pour se protéger le nez de la pestilentielle odeur de charogne qui régnait dans la capitale, décidèrent de tremper leur mouchoir dans l’eau du canal et de s’en couvrir le nez. Leur mouchoir en était ressorti rouge du sang de leurs compagnons morts.
Bien que notre ferme fusse à près de cent lieux de la capitale, j’y montais un dimanche par mois histoire d’y mendier à la sortie de la cathédrale et d’y récolter les dernières informations et les derniers potins que je délivrais à Ruisselune, en échange de quelques piécettes de cuivre. C’était là mon travail d’éclaireur chez les Défias.
Ce matin là, l’araignée et moi avions décidé de ramener de la terrestrine dans nos besaces, un tubercule qui, dans nos contrées ne poussait que sur les collines de la dague, une petite montagne qui surplombait le bourg. Je comptais bien profiter de ma prochaine escapade à Hurlevent pour en tirer un bon prix. L’endroit était assez peu fréquenté puisque l’ascension n’était guère aisée pour le commun des mortels. Notre petit gabarit et notre souplesse étaient un atout certain, de même que la juvénile témérité qui nous envahissait. Au bout de quelques heures de recherche intense, nous avions récolté huit gros tubercules et la position du soleil nous indiquait qu’il était grand temps de rebrousser chemin parce que nos repas ne nous attendraient pas sur nos tables.
Cela faisait déjà une bonne quinzaine de minutes que nous rebroussions chemin lorsque nous sentîmes la roche trembler si fort sous nos pieds que nous n’eûmes d’autre choix que de nous aplatir à terre et de nous cramponner contre les rochers. Des pierres et de gros blocs de roche se détachaient et nous lapidaient bien que nous nous soyons réfugiés au fond d’une petite crevasse naturelle. Soudain le ciel s’obscurcit, le vent se mit à souffler en rafales et on entendit un sifflement qui faisait penser au soufflet d’un mineur en train d’attiser les braises de sa forge. Tremblant et pleurant, je m’étais blotti contre Samantha qui ne disait mot, prête à accepter ce que le destin nous avait envoyés. Mon cerveau paniqué me renvoyait des images cauchemardesques et je me rappelais les histoires que racontaient les vieux au coin du feu à propos de la porte de ténèbres et de la forge des enfers. L’araignée poussa un cri d’exclamation tout en me donnant un grand coup de coude dans les côtes.
- « Regardes, un phénix »
Je me forçais à ouvrir les paupières et à relever la tête dans un effort surhumain pour faire front à la panique qui m’envahissait et je le vis. Il était immense et venait certainement de prendre son envol . Son envergure devait certainement dépasser deux à trois pâtés de ces grandes maisons de la capitale et le sifflement sinistre que nous entendions provenait du battement de ses ailes. La chose qui s’éloignait paresseusement en direction de la mer ne ressemblait absolument pas à un oiseau bien qu’elle soit pourvue d’une paire d’ailes.
- « Cela ne peut pas être un phénix, cette chose est bien trop volumineuse. C’est plus certainement un démon, tu as vu comme il était affreux ? »
- « Ou peut-être un dragon, qui peut savoir ? » Me répondit Samantha.
Cela faisait bien longtemps que les dragons avaient disparu de nos régions et ils étaient certainement morts ou endormis au plus profond des entrailles d’Azeroth mais des rumeurs couraient à propos de dragons qui avaient été aperçus vivants, dans les montagnes du nord. Cette explication me plaisait finalement : nous avions croisé un dragon et je savais qu’en contant notre aventure aux badauds, j’avais le moyen de me faire quelques piécettes supplémentaires.
L’heure du repas était déjà bien entamée lorsque j’arrivais, écorché et éreinté à la ferme familiale et, à peine je franchis le pas de la porte que j’entendis gronder ma mère derrière moi.
- « Bixente !!! Bixente Saldean, c’pèce de p’tit sagouin, où qu’t’étais encore passé feignasse? »
Je tressaillis en entendant mon nom. Je ne supportais pas ce nom qui me rappelait mon forçat de père : je m’appelais le furet mais comment faire comprendre cela à une mère.
- « Maman, tu ne devineras jamais ce qui vient de m’arriver : avec Sam on a vu un dragon. »
- « Un dragon, rien qu’ça ! V’la t’y pas qu’tu racontes les mêmes divagations qu’ton père. C’est c’t’espèce d’ivrogne qui t’a mis ces choses là dans la caboche. Regardes où ça l’a m’né. Aux oubliettes de la prison de Hurlevent. Ce salaud là m’a laissé tout l’travail et toi t’es aussi bon à rien qu’ce damné. Mais j’vais t’remettre les idées à leur place moi ! ».
Elle referma la porte derrière elle. Elle tenait dans sa main gauche un fouet dont le manche était fait d‘une branche de chardonnier sur laquelle, pendaient une dizaine de lanières de cuir léger. Elle s’avança lentement vers moi pendant que déjà, je me dévêtais de ma chemise de lin. Je me penchais en avant, abandonnant mon dos nu au mordant des lanières. En prêtant une oreille attentive, on aurait pu entendre le cinglement du fouet et les gémissements étouffés d’un enfant qui souffrait, jusque dans le champ des voisins... (à suivre)
Dernière édition par Xantha le Lun 23 Fév 2009 - 8:36, édité 5 fois