[Annonce Zircontusion]

Les lumières blafardes de la nuit des Maleterres orientales éclairaient la cellule monacale du Réprouvé, donnant des allures fantomatiques aux deux silhouettes.

L’épée runique posée sur une écritoire semblait attirer les rayons de lune qui traversaient les nuées. Son reflet métallique créait des lueurs dans les yeux des deux Chevaliers.


La réunion de ce soir avait été décevante. Politiquement, diplomatiquement et elle était en outre porteuse de malheurs à venir. L’Ennemi avait frappé. Et l’Ordre avait perdu, une fois de plus.

Le Réprouvé, immobile devant la fenêtre, se remémora les évènements qui avaient mené jusqu’à cette nuit.


Le Conseil de l’Ordre s’était prononcé, à sa majorité. Le Seigneur Khaarnal, qui s’était opposé au Conseil alors même qu’il en était un des membres influents, avait cherché à détourner l’Ordre de ses buts. Il avait entravé les négociations en cours avec le Cartel Zircontusion, au sein duquel il occupait par ailleurs une position de confiance.

Ses positions radicales et hostiles avaient rompu la sérénité des échanges et le négociateur du Cartel, ce Larkh Long-Vent, avait vu ses efforts désavoués par sa hiérarchie. Khaarnal semblait bénéficier d’appuis étonnants pour que le Cartel dénonce ainsi un accord de principe, jetant l’insécurité sur des négociations finalisées.

Pour cette raison, le Conseil de l’Ordre s’était réuni et avait délivré un Commandement Impératif au Seigneur Khaarnal. Il lui était ordonné, si sa position au sein de l’Ordre avait encore quelque valeur à ses yeux, de suivre le Chapelain en Achérus pour rendre compte de ses manœuvres contre les intérêts de ses Frères.

Las, le soir où le Chapelain et le Chevalier de Valcendre s’étaient portés à la rencontre de Khaarnal, le fourbe avait fait intervenir les agents du Cartel. Ceux-ci avaient essayé d’emmener le Chapelain de force.

Les ressources et l’habileté de Sire Sanguinosu lui valurent d’en réchapper, mais le Seigneur Khaarnal, enhardi par le franchissement du point de non retour, avait mené les combattants du Cartel au sein de la forteresse d’Achérus. Son influence avait joué une dernière fois et il avait pu contraindre le Chevalier de Valcendre à le suivre. Le Chapelain avait pu quant à lui rompre le contact et rejoindre des Chevaliers de confiance, plus au Nord.

C’est à ce moment que Rälkezad fut averti par le Chapelain de l’ultime trahison du Chevalier Khaarnal.

Le Chapelain et le Réprouvé, réunis au cœur du Norfendre, tinrent conciliabule et virent la confirmation de leurs doutes concernant le véritable Maître de Khaarnal et ses desseins.

Contrairement à sa position affichée, résolument et fanatiquement pro-Réprouvée, il apparut que l’attitude du Chevalier Noir desservait en réalité ceux qu’il prétendait soutenir. Tant de comportements autodestructeurs, de manœuvres de divisions entre alliés et partenaires de longue date, au sein même d’une même faction, tout portait la marque d’un nihilisme pernicieux et corrupteur.

Oui, Khaarnal ne pouvait servir que le Crépuscule, la chose était certaine à présent ; c’était lui qui avait introduit l’Hérésie au sein de l’Ordre, lui qui avait permis à la propagande de l’Organisation de s’insinuer au cœur d’Achérus. Lui qui soutenu par l’Ennemi, avait gagné en influence au sein du Conseil jusqu’à provoquer les conditions propices à la destruction de l’Ordre.

Lui qui avait fait son nid au sein du Cartel, si aisément corruptible car guidé par le seul appât du gain au sein de la Horde. Le Gardien interne du Cartel avait failli : le Cercle Spirituel du Féticheur Khe’zan s’était soit laissé abuser, soit laissé corrompre.

Il fallait tirer cela au clair.

Les Corsaires du Trident avaient été immédiatement avertis de l’action de Khaarnal et de l’attitude hostile du Cartel envers l’un de leurs corsaires sans toutefois être prévenus des craintes des deux Primarques.

Il suffisait de dire que le Chapelain, en tant que combattant et officiant des rites de la Horde au sein du Trident, avait vu son statut d’allié militaire du Cartel foulé aux pieds. Cela seul était déjà suffisamment grave pour motiver une demande d’explications au Cartel, soutenue par les combattants de la Sombre Assemblée, qui pouvaient désormais légitimement s’inquiéter du respect que le Cartel portait à ses alliés militaires.


Une entrevue secrète fut convenue entre les chefs des groupes du Conseil de Guerre des mercenaires combattant sur les fronts de la Nation Réprouvée.

Afin de préparer cette réunion, Rälkezad parvint à joindre le Féticheur Khe’zan, chef de la faction du Cercle Spirituel ; les Gardiens du Cartel Zircontusion chargés de veiller sur la conduite du Cartel vis-à-vis de la Horde semblèrent favorables à une conciliation. Ils indiquèrent par la voix du Féticheur que le Cartel n’avait pu avoir pour dessein de porter atteinte à un membre d’un groupe partenaire, que semblable attitude n’avait pu émaner de combattants de la Horde.

Le Troll, en lequel Rälkezad avait toute confiance, dissipa ainsi les inquiétudes de l’Ordre pour ce qui concernait une éventuelle corruption du Cartel par le Crépuscule.

Le soir de la réunion vint ; les gens de la Sombre Assemblée et du Trident, rejoints par les représentants de l’Ordre, tinrent une réunion avec le Cartel dans un camp de l’arrière garde Réprouvée dans les Pins Argentés.

Quelle ne fut pas la stupéfaction des membres du Conseil de Guerre lorsque le dirigeant du Cartel présent sur place confirma et même revendiqua la tentative d’enlèvement du Chevalier Angellu, qui devait servir de monnaie d’échange pour forcer des négociations en cours avec l’Ordre des Chevaliers d’Achérus. Le rapt du Chevalier de Valcendre avait eu pour but de « compenser » la perte d’un otage de choix !

Les vociférations et la discorde prirent aussitôt possession des esprits. Ce ne furent que clameurs et lames sorties du fourreau.

Arnis du Trident somma sèchement les gens du Cartel d’expliquer la tentative d’agression envers l’un de ses corsaires.

Mais il n’était plus temps de trouver un terrain d’entente : pris à contre-pied et consternés, les Chevaliers de l’Ordre ne purent se résoudre à soutenir une normalisation des relations entre le Cartel et les autres groupes du Conseil de Guerre.

L’attitude sans concession ni regrets des agents du Cartel, leur refus de considérer l’indignation des officiers du Trident comme légitime et leur incapacité à calmer les inquiétudes de la Sombre Assemblée devant tant d’inconséquence et d’atteintes à la loyauté envers leurs alliés finirent de sceller la marginalisation du Cartel vis-à-vis de leurs anciens partenaires militaires et politiques.

L’artisan de cette désunion, absent de la réunion, avait malgré tout atteint son objectif et avait durablement et gravement atteint l’une des alliances les plus anciennes et solides de la Horde.


Rälkezad sourit amèrement dans l’obscurité. Il avait gardé un atout dans son jeu, cette nuit, qu’il pensait utiliser différemment selon le choix exprimé par le Cartel. Un groupe de pillards de Praesidium, mobilisé par l’un des Chevaliers les plus retors de l’Ordre, sans état d’âme ni remords inutiles, se tenait prêt à porter atteinte aux intérêts du Cartel, en Azshara même.

En cas de réconciliation et de retour de la confiance entre le Cartel et ses partenaires, c’est ensemble que tous auraient repoussé les assaillants, scellant dans la victoire une nouvelle loyauté.

En cas d’échec des négociations et d’un refus du Cartel de revenir à de meilleures dispositions, c’est seul et isolé que le Cartel irait à la rencontre de l’ennemi, laissant la possibilité aux chiens de guerre de la Dame Eïghir de piller une partie des installations du Cartel.

C’est donc avec une certaine froideur, une fois l’échec diplomatique clairement consommé, que Rälkezad avait prévenu les agents du Cartel qu’une attaque était menée en ce moment même contre leurs intérêts en Kalimdor, feignant de recevoir un message d’Achérus.

Sans plus prêter attention à la réunion, les gens du Trident, de la Sombre Assemblée et de l’Ordre des Chevaliers d’Achérus se retirèrent, laissant le Cartel se battre une bonne partie de la nuit en Azshara contre les pillards.


Désormais, le Conseil de Guerre des Mercenaires sur les fronts Réprouvés ne devait plus compter sur les combattants du Cartel, tant que la corruption interne qui le souillait n’était pas éradiquée.

Cela indiquait sans doute qu’après avoir mené la danse et pris l’initiative, malgré des débuts laborieux, il faudrait adopter une attitude plus défensive, préjudiciable à l’avancée des intérêts de la Horde dans le Nord.

Cela impliquait en outre que le cartel sortait du système de la Paix d’Achérus, plongeant le Nord dans plus de chaos encore qu’auparavant.

L’Alliance en profiterait-elle ? Le Réprouvé fronça les sourcils dans le noir. Le Chevalier d’Altérac était si imprévisible… il pourrait sans doute essayer de pousser l’avantage de sa Maîtresse. Le Baron des Ossements aurait désormais une influence sur l’avenir de l’Ordre sans commune mesure avec celle qu’avait jamais eu le Chevalier Khaarnal, dont l’Anathème n’allait pas tarder à être prononcé.

Le Cartel, et particulièrement le Cercle Spirituel allait-il entendre les avertissements de l’Ordre ? Il était à craindre qu’il se ferme désormais aux avis de ceux qu’ils considéraient comme responsables de l’attaque d’Azshara.


Au moins la Dame de Valcendre était-elle sauve. Profitant de la diversion créée par l’attaque des combattants de Praesidium, un groupe avait investi l’endroit irradié où était retenu l’otage et devait à cette heure se trouver en sécurité, à bord d’un vaisseau allié. L’Ordre n’abandonnait jamais un des siens.

Piètre réconfort malgré tout.


Rälkezad ferma les yeux. Était-il devenu lui aussi sans s’en rendre compte un agent du Crépuscule ? Un pion entre les mains du Corrupteur ? Ceux qui devaient servir de catalyseur de la réconciliation avaient échappé à ses plans et ajoutaient encore plus de désunion.

Il avait été battu à son propre jeu, par un adversaire plus redoutable encore qu’il ne l’avait imaginé. Le Seigneur Noir devait être satisfait à cette heure, comme les incendies faisaient rage aux alentours d’Azshara.

La puissance du Cartel n'avait pas le moins du monde été battue en brêche, mais à présent, agité et énervé comme un frelon, isolé diplomatiquement mais encore incontournable militairement, ses représailles frapperaient sans doute les prochaines cibles du Crépuscule, ajoutant à la confusion et au désespoir en ce monde.

Comme la Paix d’Achérus semblait loin d’être atteinte…